porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

lundi 1 décembre 2008

Antonella Anedda

D'origine sarde et corse, Antonella Anedda est née en 1955 à Rome où elle vit. Elle s'occupe de médiation culturelle. Auteur(e) de plusieurs recueils dont des extraits sont publiés sur le site Terres de femmes (http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2008/11/antonella-aneddanovembre-notte-1.html), extraits de Residenze invernali (cf. aussi "Poésie90", avril 1990), et Notti di pace orientale (qui paraît anthologiquement en frçs. chez L'Escampette), La luce delle cose (Feltrinelli, 2000). Un choix de ses propres traductions, Nomi distanti, chez Empiria.



Residenze invernali

"Altari di riposo"

II

C’était ça. Le sable soulevé en dune
les rochers sans fleurs
la terre qui n’a pas de saison, l’herbe
mue dans les vasques, mince
sur l’arête des murs
et la chambre chaude comme si elle était habitée
flamme de branche et chandelle
lumière minime lueur de bougie
devant la pierre des morts.

Air sauvage. Os
affilé, toi sans enchantement.
A toi
(en des soirs de feux et de phares, dans les vitres
jetées par le vent sur les quais)
je dois des certitudes :
ni retour ni union aucun réconfort
rancœur pour ta grise beauté de noyée.
Et c’est encore la chute
drue de noix, des pas
où les débris sont désormais racines
le souffle des couples dans les ferries.
Non des cours sur la mer mais des rambardes
des fers qui abolissent le repos.
D’eux j’apprends.
A ne pas ranger les objets
à ouvrir grand les paniers
jusqu’à faire du corps un autre espace.
Avec calme
maintenant qu’au milieu des mottes
je suis une empreinte légère d’animal
(plus bas que la nuit
où l’obscurité est travail)
je recouvre d’eau les fissures, les grands vases.



"Residenze invernali"

VI

L’herbe brûle sur les toits et la terre se fend dans les allées. Les arbres secouent leur sable. Silence dans la ville abandonnée et fausse lueur sur la mer. Vent et poussière sur les plants de laitue.
Dans ce temps disjoint, quand le tonnerre traîne les maisons au milieu de fleuves et que le fer déchire son vol, dans la chaleur sans refuge du clochard, nous avons traversé le mois d’août.

Des jours de lumière opaque sont venus
les mornes fêtes de la mi-août
le silence des platanes, le calme
lourd des guêpes
la rive sèche du blé.
Des après-midi clos suivirent
et des nuits
emplies de sable.
Nous avons attendu
immobiles
le passage des oiseaux, l’air qui s’allège
de soir en soir
jusqu’au premier vent d’automne.

Dans un long froissement les arbres s’agiteront
dans un bruit de fontaine
ils frapperont le ciel
et l’air sera haut et figé
déchirure de roche derrière les nuages
sceau sur le vide des Bastions.
Une patience brûlante est dans le souffle de septembre
le pont s’arque sur l’eau, la maison tiédit entre les pins.
Léger, dans les branches du lentisque le mistral déroule les drapeaux.
Nous aussi un soir nous avons parcouru le bord de mer
tournant la tête vers des cafés éclairés
l’esprit attentif aux petites choses
sifflant dans le noir comme des oiseaux.

Dans toutes les vitres de l’hôpital à présent
des corps, des lueurs de buissons, des visages :
ici le sommeil n’est qu’un léger heurt
l’imperceptible entrebâillement d’une porte
l’écume
qui se forme sur les bassines.
Nous déplions nos doigts sur le drap
vraiment attentifs, enfantinement seuls.
Comme avant le soir vient
sans bruit
sur les épaules qui retombent dans le vide
sur les cous enfouis dans les pyjamas
descend une paix, diaprée, de montagne.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - © les auteurs et CIRCE

Antonella Anedda

DIALECTALES...

Certains poètes présentés par CIRCE écrivent aussi dans leurs dialectes respectifs (langue ou dialecte, ici, ne fait pour nous aucune différence). Suivant quelques principes qui n'engagent – par contre – que moi, et dont on peut se faire une idée en allant dans notre site (art. en ligne "Traduire, une pratique-théorie", avec un ex. d'application à E. De Signoribus), j'en propose ici des versions françaises. (JcV)


Attitos

Thrènes

1.
Rends-moi ce fils tien
terre vêtue de noir,
face de pluie. Il m'appelle
mais tu t'abats et tranches.
Je ne puis répondre
pleine de boue et d'épines.

2.
Tu la vois, bougie, cette ruine
dans les objets qu'il ne touche plus,
les ciseaux à tondre rouillés.
Je fouille dans la cendre,
je ferme à demi la porte,
mais tu l'entends l'ange qui vient
et s'assoit près de l'âtre avec les chiens.
Ton époux n'y revient pas, il dit
qu'il est dans le cercueil.
Alors laisse-moi dormir
les lèvres contre son bois
jusqu'à la grand messe de Pâques
notre dame de lumière en croix.

3.
Au petit jour il a fermé les yeux
il a désiré en vain
en un seul cri muet.
Tu tardes trop à venir, vent,
sa face de mort
est feuille immobile et froide.
Je ne veux qu'être seule avec lui
aspirant le venin
qui m'est resté dans le coeur.

4.
Sa voix s'est tue,
il ne dit plus : "Allons".
Elle crisse comme craie
qui vrille les dents.
Il a senti la mort
lui passer un fer brûlant
entre oreille et tempe
pour dispenser sa douleur
à qui ne peut guérir.

5.
Il est parmi des étrangers
dans l'enfer des âmes
prématurées. Il murmure
mais nul ne répond
car c'est notre châtiment
ces vols tout autour
pleins d'une voix de pluie
dans leur gorge.

6.
L'âme qui s'abaisse
en vol dans la mémoire
de cercle en cercle de pierre
noircit comme l'agneau
cuit sous la cendre.

7.
je voulais passer une éponge métallique sur sa poitrine
le blesser jusqu'au sang comme un christ
pour croire qu'il revivait

8.
A' présent la vie ralentit. L'herbe
ne crépite ni la mer ne brûle.
la bise me consume, la porte grince,
le bois est un astre de douleur.
Lointaine est la terre
où l'époux s'en est allé.
Les instruments font tinter
la mémoire, la souris ronge
telle une écharde de gel.
Ah, épousé, manteau de nuit,
moi brebis devenue sauvage.
Chante dans cette solitude
le printemps de Logudoro.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - (tr. du sarde J.Ch. Vegliante)
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ...............- - - - - - - - © les auteurs et J.c.V.

_________________

lundi 3 novembre 2008

Edoardo Albinati

Edoardo Albinati (Rome, 1956) enseigne les Lettres italiennes à la prison de Rebibbia. Il s'est fait connaître avec un roman précurseur, Il polacco lavatore di vetri (1989), d'où a été tiré un film. Il a été traduit en français par F. Caccia (prose) et J.Ch. Vegliante (poèmes en prose) ; parmi ses livres de poésie, La comunione dei beni (Giunti 1995) et Sintassi italiana (Guanda 2001).



Le Graal

Tu n'as pas vu le sac en papier
avec les oranges dedans ? J'en avais choisi une
en particulier, une petite
foncée, sale, ou l'as-tu déjà prise
et mise dans une assiette ?
La voici, regarde-la au milieu de la table
briller comme le Saint-Graal
avant d'être dévêtue de son écorce
avant d'être ouverte en deux.
Nous aurons la bouche pleine de son sang.
Ouvre le livre au hasard ; fais-le tomber par terre ; n'y pense plus.
Qu'as-tu appris aujourd'hui, qu'as-tu oublié ?
le monde est une unique création
et vers elle sans le savoir on se dirige solidaires
comme les mains, ou les pieds, les yeux,
comme entre les lèvres les deux rangées de dents
qui se joignent en mastiquant.




Sacré et profane

Quelquefois, surtout quand le vent souffle, surtout
assis sous les arbres qui empêchent
avec le bruissement des branches de se comprendre et d'entendre
autre chose que ce bruit, je me souviens de n'avoir pas
rendu une paire de gants en daim
à un garçon qui maintenant est mort.
Certains aiment la glace au citron, certains
pas trop. Nous étions assis trop loin et nous n'avons
pas entendu sa plainte qui a duré plus d'une heure.
Une heure ? J'ai bien entendu ? Qu'est-ce que tu as dit
au sujet de la glace ? Les offenses que j'avais juré
de te rendre au double dansent et m'entourent
et s'inclinent, puis s'en vont vers le silence.
Je ne suis pas sûr que même l'allumette brûlée dans le caniveau
soit sacrée, et peut-être même pas de marcher
les yeux clos à travers la ville en se faisant tenir par la main.
Le Roi du Pont mourut pour n'avoir pas retenu son nom
mais c'est ce qui lui attira la sympathie et les dieux des enfers
le recrachèrent sur la terre, plus vivant et puissant qu'avant.
Si nous avions connu la réponse nous aurions gagné
mais nous avons été éliminés et puis il fait trop chaud pour étudier
il fait trop chaud aussi pour soulever le broc
il fait trop chaud pour admirer, parmi les fleurs, la plus belle
la fleur aveugle, le coquelicot.


; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; de : Sintassi italiana, Guanda
; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; ; . . . . . . . . . . . . . . . ; ..................................; ; ; ; . . . . . . ; ; ; ; ; ; ; . . . . . . . . - - - - - - - - - - - . . . . . . . . . © les auteurs et CIRCE

jeudi 9 octobre 2008

Sara Ventroni

Sara Ventroni est née à Rome en 1974, a publié dans de nombreuses revues (Nuovi Argomenti, L’Immaginazione, Accattone) et collabore avec les quotidiens Liberazione et Il Foglio. Son premier recueil Clarissa e altre poesie a paru en 1997. Elle a remporté le premier “poetry slam” italien. Son recueil le plus récent, Nel Gasometro (2006), a été édité par Le Lettere avec une préface de Elio Pagliarani.




Des ouvriers perchés sur les poteaux électriques le matin
que font-ils, là où ils réparent la panne ?
Et même si l’on est parti pour un travail de manutention
je suis d’accord avec ceux de la gare
dans leurs combinaisons fluorescentes.
D’autres déposent des auvents d’amiante, les antennes
comme assorties aux vieilles branches d’autres temps défunts :
les branches se figent, le ciel ne bouge pas.


Il fallait se mettre des gants et un masque fin
............................................................en papier
devant la bouche, de grosses chaussures en fibre
au cas où couleraient d’autres scories. Le fer enlevé :
eau mêlée à la rouille, eau mêlée à la terre
qui se fait boue. D’autres déplacent des socles
..............................................................de ciment
et dispersent du gravier en utilisant de l’air
comprimé, un souffle direct qui détache.
Les vers sont sous la pierre, la mousse a poussé
dans le transformateur.

D’autres encore s’en tiennent aux instructions, à l’hygiène.
Ils n’avancent pas au hasard mais exécutent, ils ne parlent même pas.


Bien sûr quand un essieu cède on doit changer l’os
et l’os qui circule dans le sang est pollution.
Autour d’un autre axe un autre os un autre corps
il faut verser, étaler d’un pot de peinture
une langue nouvelle par terre comme un terrain rouge.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - de : Nel Gasometro


"Psaume, calme"


Tout est à sa place. Sur un côté
repose le revêtement
de la route.

L’asphalte arraché, on a dit : en dessous
il n’y a pas de boue
mais encore de l’asphalte et des formes d’insectes
prises dans le ciment.

Les squelettes, les ailes, les pattes,
sur lesquels tu repasses
et dont tu imprimes la forme
retournent à la lumière
émiettés
aux signaux recouverts
des panneaux renversés
blancs et rouges

de la route.

........................................................
- - - - - - - - - - - - - - - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -de : Salmi

© les auteurs et CIRCE

lundi 1 septembre 2008

Cristina Alziati

Cristina Alziati est née en 1963. Traductrice. Après avoir étudié la philosophie, elle a travaillé dans une association d’aide aux immigrés clandestins à Milan. Elle habite aujourd’hui à Berlin. Sa poésie s’inscrit dans le sillage de celle de Franco Fortini, qui a introduit ses premiers textes en 1992. Son recueil A compimento a paru chez Manni (Lecce) en 2005 et a obtenu le prix Pasolini poésie "Opera prima" l'année suivante.



a G.
[…]

Sono venuta da te questa notte.
Ma già ero stata dentro l’alta
luce sui campi dove dormi forte,

già il corpo immenso delle erbe ero
alla tua, inter ligna silvarum,
ombra ferme tremate, mio melo.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .(inedito)


* * *




Le ciel était de chaumes sur les molles
eaux de Bavière, je sortais de la Stube
ancienne odeur, de poussières et de peaux
de la sueur – je sortais, et tourbillonnant
vent et neige, et moi, la tourmente
déjà nous enlevait aux heures qui restent –




flores apparuerunt

Il y avait aussi les noms, je crois
ceux qu'identiques nous donnons à chaque chose
et les nuages, dont il faudra bien
en un des jours que nous parlions,
et mille graines que des mille espèces
dans notre terre dissipées, nous,
parmi de très anciens points de suture
en réserve nous cachons – enfin il y avait
une récolte, je crois me souvenir
juste dedans le silence, juste pendant
qu'entre nos dents fondait le silence
et amica, un choeur d'eau se rassemblant alors,
mea surge saluait –





à G.
[...]

Je suis venue vers toi cette nuit.
Mais j'avais été déjà dans la pleine
lumière sur les champs où tu es endormi,

déjà j'étais le corps immense
sous ton ombre, inter ligna silvarum,
des herbes immobiles tremblées, mon arbre*.


.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (inédits, 2007)

. . . . . . . . . . . . . .* trad. Chouraqui (Cantique des cantiques) : "comme un pommier parmi les arbres de la forêt...".

© les auteurs et CIRCE

mercredi 6 août 2008

Laura Pugno

Romaine, Laura Pugno est spécialiste de traduction (anglais et français) et collabore à divers journaux ("Il Manifesto") ou revues ; elle a publié récemment le roman Sirene, fable d'anticipation où se retrouvent certains motifs présents dans le recueil inédit d'où sont tirées nos traductions (Einaudi). Autres proses et poésie : Tennis (Nuova Magenta, 2001), Sleepwalking (Sironi, 2002), Il colore oro (Le Lettere, 2007).



La mente paesaggio



corpo fatto a pezzi
volto

umano,
volpe
in un angolo della stanza,
sei tornata

parti di corpi di bestia
prima che virino al bianco

così appare dagli scavi
formando
la mente paesaggio

*

la mente igloo,
cava al centro,

nel ghiaccio
dentro, le ultime cose
che si muovevano
ora sono quiete

volpe argentata,
corpo che si va tramutando in volpe argentata

*



dopo, dormire,
lavare le parole custodite
in una sacca di pelle,
affilarle di nuovo come strumenti di caccia

vicina a dire il bianco,
lingua,
la quietitudine


* * *

- - - - - - - - - - - - - - de : "Bina" n. 71, 2008

_____________________




"L'esprit-paysage"



corps mis en pièces
regard

humain,

renard
dans un coin de la pièce,
tu es revenu –

parties de corps d’animal
avant qu’elles ne virent au blanc –

c’est ce qui apparaît dans les fouilles
et forme
l'esprit paysage

*

l'esprit igloo,
creuse au centre,

dans la glace
dedans, les dernières choses
qui bougeaient
sont à présent calmes –

renard argenté,
corps qui va se transformant en renard argenté

*

après, dormir,
laver les mots gardés
dans une sacoche de peau,
les aiguiser à nouveau comme outils de chasse

toute proche de dire le blanc,
langue,
la quiétude

*

la plaine
se couvre en mesure égale d’herbe et de sel,
la surface est plate,
les amundsen
entrent dans le blanc –

tout est lent et rapide,
cris d’oiseaux

*

langue,
fais-toi dernière,
argent du renard

bête très proche,
encore blottie dans la chambre

les amundsen
emmenés par une meute
de chiens blancs –

la glaciation, lentement

*

poches de mercure noir

liquide sur la surface plate,
à déchiffrer,
écran –

journaux des amundsen
parlent de la glace,

mots pour la glace
gaspillés

pour l’arc qui atteint au centre cible parfaite



***

© les auteurs et CIRCE

jeudi 3 juillet 2008

Paolo Bertolani

Paolo Bertolani, poète ligure (1931-2007), a forgé son écriture poétique dans le dialecte de son village natal, Serra de Lerici. Langue de l’origine, ce parler est ainsi langue de la mémoire, à travers laquelle il peut décrire la vie de la campagne et les paysages de sa région. Il ne délaisse pas pour autant l'italien, en poésie et en prose (I mótri, 1979, La grande settimana, 1999, Il vivaio, 2001) ; il a reçu le Prix Lerici Pea en 2002.
Parmi ses recueils : Le trombe di carta (1960), Incertezza dei bersagli (1976), Seinà (1985), E gòse, l’aia (1988), Itinerario del monte e degli amori (2002, correspondance en vers avec Francesco Bruno), Raità di neve (2005), Colpi di grazia (2006).



"Lettre de Bocca di Magra"


Il fallait bien la neige, l’alibi
d’une piste pour te fondre dans un
mot… qu’on n'attendait presque plus – et surtout
dans ce refuge que tu connais, dans ce point
précis d’eau partagée
entre fleuve et mer.

Loin ici d’évoquer
désormais opaques dans le temps
mes écoles sylvestres…
Des gens qui déboisaient,
des batteurs d’olives pour maîtres.
Leçons tranquilles, essentielles
(« tu l’entends ? C’est la grive,
la grive du froid »).
Loin ici d’évoquer, et invoquer
– écoutant la fine
coulée vers le cœur de terre rouge –
vallons, coteaux : ces terres de rien
que sont chez nous les vignes.
Ici j’existe, si j’existe, dans une bouillie indistincte.
Si j’existe, si je résiste, c’est seulement par le signe
des nerfs qui affleure dans mes mains ;
et ainsi, je ne saurais dire si c’est
une illusion des vitres, ou quelque
autre piège,
mais devant mes yeux, dans l’air de neige,
une apparition sur l’eau – cargo
ou torpilleur ? –
oscille et tombe le long du blême
fil du coucher du soleil…
À nouveau, tu vois ? même ici
les mots s’en vont dans l’air,
trop souvent une bêtise les trouble,
les aimer se fait toujours plus difficile,
rien que d’en espérer la simple fidélité est criminel… Mais
omissis… Oui, la neige.
De la tiédeur close, je l’observe
se former, ardue,
c’est cet air marin, quand j’y pense,
qui en effrite le dessin,
sa perfection d’étoile
et la neige, quand j’y pense, est peut-être
la côte éphémère dont naît le mythe,
l’alibi à placer contre le piège : comme ces
talismans dont tu parles – feuilles, galets
ou proues enchantées… Mais
plus immédiatement : n’est-ce pas seulement
en nous que le monde advient ?
Je m’obstine, comme tu vois,
encore dans mes paroles secrètes qui se mordent la queue,
pendant que le blanc redouble sur les hauteurs.
Peut-être que je me répète ? Bien, alors cela veut dire
que je me répète. Oh les mots de l’Ombre qui, vaste,
nous conduisait vers les noms dont la campagne est pleine…
Mais je parle d’années lointaines, et si je termine
cette lettre, c’est aussi à cause du tremblement
de mes mains qui s’accroît au souvenir.

Paolo

- - - - - - - - - - - - - - - de : Itinerari del monte e degli amori (2002)

© les auteurs et CIRCE

Paolo Bertolani

DIALECTALES...

Certains poètes présentés par CIRCE écrivent aussi dans leurs dialectes respectifs (langue ou dialecte, ici, ne fait aucune différence). Suivant quelques principes qui n'engagent – par contre – que moi, et dont on peut se faire une idée en allant dans notre site (page PUBLICATIONS, art. en ligne "Traduire, une pratique-théorie", avec un ex. d'application à E. De Signoribus), j'en propose ici des versions françaises. (J.c.V.)


'E pavaìne

Les canettes

Les canettes l'lancées
qui silencieuses glissent
sur le plan lisse de l'eau,
l'ombre dense qui vient
des arbres presqu'infinis dans l'vert :
draps pour nous recouvrir, nous qui sommes dessous...

Mais les canettes
et l'ombre
et l'eau tranquille
filent seulement à l'intérieur de moi
avec moi-même assis,
plus distant que la lune
de c'que j'ai dit - et de toi.

- Die, Diabasis 1998


(tr. du ligurien J.Ch. Vegliante)

© les auteurs et J.c.V.


vendredi 20 juin 2008

Vittorio Bodini

(Bari, 1919 - Rome, 1970)
Après des études à Florence, il retourne s'installer dans sa région natale. Grand traducteur de l'espagnol (Cervantès, Garcia Lorca), il est aussi professeur de littérature espagnole à l'Université de Bari. Sa poésie, après une brève parenthèse futuriste, se caractérise par une attirance pour le Sud et en particulier pour sa terre, le Salento, présente dès La luna dei borboni (Mondadori, 1952).



De : La luna dei borboni e altre poesie (1945-1961)



"Feuilles de tabac"



1.

Tu ne connais pas le Sud, la chaux des maisons
d'où l'on surgissait au soleil comme des numéros
sur la face d'un dé.


2.
Lorsque la conque lunaire
élève d'illusoires montagnes, comme mortes,
et un miroitement sourd sur les rails,
ton nom dans l'ombre se met à crier,
plein de dents, et mord à la gorge
le palmier et l'église du Rosaire.


3.
Sur les plaines du Sud ne passe aucun rêve.
Des substantifs et ces chèvres sans musique,
le signe d'une croix sur le dos,
ou un cercle,
campés là, attendent une autre vie.
Tout est évidence et repos, et l'on verrait
presque une pensée, un verbe,
et l'effroi gris-beige d'une taupe
courir entre deux pierres.


Perdre nos regards jusqu'au bout de la plaine,
sans maisons, sans arbres, sans une lettre :
ligne d'une absence où seules se penchent
des chèvres ou spectres de chèvres mortes depuis des siècles,
qui broutent les gemmes amères de l'insomnie,
l'acier sans lumière d'anciennes épées,
quand d'amers peuples s'affrontaient
et teignaient de sang les cieux de la préhistoire.


Ainsi, un jour de sous la terre
si un rire maigre s'étire déchaîné
dans le sirocco,
ce qu'au ciel imperturbable et aux corbeaux
découvre la bêche
ce sont les dentures des chevaux
morts qui se rappellent
quelle douce fête c'était
lorsque le sang était vivant sur la plaine.

[…]


12.
Un moine querelleur vole parmi les arbres.



© les auteurs et CIRCE