porta

porta
Daniela Iaria, "Attraverso la porta bianca-fiume", 39x41 cm, 2004.

mercredi 1 avril 2015

Milo De Angelis


Dès son début en 1976 avec Somiglianze (Guanda), Milo De Angelis (Milan, 1951) a exercé une large influence sur la nouvelle poésie italienne. Ensuite il a dirigé la revue “Niebo” (1977-1980) et publié six recueils : Millimetri (Einaudi, 1983), Terra del viso (Mondadori, 1985), Distante un padre (Mondadori, 1989), Biografia sommaria (Mondadori, 1999), Tema dell’addio (Mondadori, 2005, Prix Viareggio), Quell’andarsene nel buio dei cortili (Mondadori, 2010). Il est rédacteur de la revue “Poesia” et actuellement un nouveau recueil va paraître chez Mondadori. En français sont disponibles Ce que je raconte aux chaises (trad. A. Pilia et J. Demarcq, Royaumont, 1989), L’océan autour de Milan et autres poèmes (trad. J.-B. Para, Arcane 17, 1993), Thème de l’adieu (trad. P. Atzei et B. Casas, postface de J. Demarcq, Nous, 2010). On présente un poème tiré de Biografia sommaria et dédié à Nadia Campana, une poète suicidée à Milan en 1985, dont Milo De Angelis et Giovanni Turci ont publié le recueil posthume Verso la mente en 1990 chez Crocetti (2 éd. Raffaelli, 2014). D'autres poèmes ont été traduits dans "Siècle 21" (n. 25, automne-hiver 2014). 



Papier muet


Maintenant tu le sais toi aussi
nous le savons
alors que nous sommes sur le point de renaître.
Franco Fortini


Nous entrons à présent dans la dernière journée, dans la pharmacie
où son visage blanc et sans paix ne répond pas au salut
du veilleur de nuit : visage assoiffé, je ne peux le franchir,        
c’est le même qu’un jour j’appelai amour, ici
dans le brouillard de la Comasina.
Nous marchons encore en direction d’une vitre. Puis elle          
jette dans une poubelle son horaire et ses lunettes,
enlève son pull bleu clair, me le tend silencieusement.
« Pourquoi fais-tu ça ? »                                                               
« Parce que je suis ainsi », répond une forme dure de la voix,
une douleur qui ressemble
seulement à elle-même. « Parce que je…
… ni prendre ni laisser ». Arrivent des paroles
dans le sang, des yeux qui heurtent contre le néon,
gelés, intelligents et inconsolables,
des mains qui dessinent sur la vitre l’ange gardien                      
et l’ange impartial, cinq doigts serrés sur un fil,                           
l’idée portante du néant, la gorge encore chaude.

« Vie, toi qui n’es pas seulement vie et qui te mêles
à de nombreux êtres avant de devenir nôtre…
…vie, c’est toi qui veux lui donner                                    
une fin glaciale, justement ici où les années                           
se cherchent dans un mètre d’asphalte… »

Interrompons l’anthologie
et la supplique du cœur battant. Référons exactement                     
les faits et les paroles. Cela,
cela m’est possible. À trois heures du matin,
nous nous arrêtâmes devant une buvette, nous demandâmes                 
deux verres de vin rouge. Elle voulut payer. Puis elle
me demanda de la raccompagner chez elle, rue Vallazze.               
On comprenait ses paroles et sa bouche
n’était plus pâteuse. « Où as-tu été
pendant toute ma vie… » Milan redevient muette
et infinie, disparaît avec elle, en un lieu sombre
et humide qui dissout même son nom,
qui nous engloutit dans le sang sans musique. Mais nous deviendrons,
ensemble nous deviendrons ce pleur
qu’un poème n’a pu dire, maintenant tu le vois                                     
et je le verrai aussi… nous le verrons,
maintenant nous le verrons… nous le verrons tous… maintenant…
… maintenant que nous sommes sur le point de renaître.


(Milo De Angelis, Biografia sommaria, Mondadori, Milano 1999)



© les auteurs et Circe

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